Ruminations sur ordonnance.
L’un des éléments important dans la régulation de la fatigue émotionnelle et la lutte contre l’épuisement se trouve dans notre faculté à prendre soin de nos pensées. Cette semaine voici une technique qui permet d’y veiller tout en agissant concrètement sur un comportement créateur de fatigue au quotidien: les ruminations.
Les ruminations sont un sujet que l’on rencontrera régulièrement dans les pages du blog, car c’est un processus qui fatigue grandement et que l’on retrouve communément chez beaucoup d’entre nous.
Par exemple en ce moment même je peux vous en partager un florilège particulièrement illustratif:
« Je ne suis pas capable de faire deux phrases sans faute d’orthographe ! … c’est insupportable, … si j’avais su j’aurais d’avantage travaillé à l’école mais c’est trop tard ! Fainéante ! … et puis j’étais déjà fainéante à l’époque, quelle fainéante !… j’aurais dû écouter mes parents ! … toujours ce fichu esprit de contradiction, ça te joue encore des tours, bien fait pour toi ! … voilà, la preuve tu mets cent ans à écrire ton paragraphe, tu ne termineras jamais à temps, la faute à qui ? …. et puis l’éducation nationale … Screugneugneu … et blablabli et blablabla ! ».
Ça vous fait penser à quelque chose ? Vous avez vous aussi de bons exemples de rumination ? Un très bon cru, vous aussi, j’en suis sur. 🙂
Les ruminations, pour qui et comment ?
Le phénomène des ruminations est normal ! Il est donc commun à tous bien qu’il puisse être différent en intensité. Il est donc normal, sauf lorsqu’il passe un certain seuil et devient excessif.
Ainsi, dans mon exemple ci-dessus, si mes ruminations me retardent quelques minutes dans l’écriture de mon article (le temps qu’elles passent) ou me poussent à prendre des cours d’orthographe, pas de soucis pour moi ! Par contre si elles s’installent, se développent, tant et si bien qu’elles me paralysent et que je ne me trouve plus suffisamment légitime pour continuer à travailler … là, mieux vaut ne pas laisser passer !
Les ruminations sont un phénomène mental (on les appelle aussi ruminations mentales). Il est répétitif et se caractérise par des pensées et des préoccupations de couleurs sombres : doutes, scrupules, pessimisme, reproches contre soi et/ou les autres, …
Ses pensées sont particulièrement improductives (nous sommes en état de passivité face à elle) et ont la particularité de s’auto-alimenter (elles se déploient souvent par associations d’idées, en arborescence, et peuvent donc ne pas avoir de fin). Cela ressemble à une sorte de lamentation ou de ressassement continuel.
Le souci (outre le fait que nos proches veuillent nous étrangler si l’on a le malheur de les exprimer à haute voix … ) c’est que les ruminations ont potentiellement des effets négatifs sur notre état mental et physique:
- elles augmentent le risque et l’ampleur de la dépression;
- Et elles alimentent notre anxiété;
- elles alimentent nos états émotionnels désagréables (dépréciation, dévalorisation, …);
- et augmentent le risque de mise en place de comportement à risque (consommation excessive d’alcool, automutilation, troubles des conduites alimentaires, comportements addictifs, …);
Qu’est-ce qui créer nos ruminations ?
Je le rappelle encore, pour toute personne traversant une dépression, un syndrome de stress post traumatique ou autres troubles qui nécessitent des soins et un accompagnement, la lecture des techniques de ce blog ne sera pas suffisante et/ou ne sera pas adaptée selon les situations.
Pour comprendre le fonctionnement des ruminations, il faut comprendre que l’être humain existe dans l’interaction de plusieurs aspects (biologiques, cognitifs, émotionnels, sociales, comportementales, …). Ainsi lorsque l’un de ces aspects est modifié, les autres en sont également modifiés.
Par exemple, lorsque une personne traverse une épreuve difficile dans laquelle elle perd durablement confiance en elle: elle observe la réalité par ce nouveau filtre particulier « négatif ». Elle va donc interpréter ce qu’elle vit au travers de ce filtre déformé, ce qui produit des émotions de mêmes couleurs. Ce processus va ainsi alimenter des pensées négatives qui renforceront sa vision du monde et donc sa perte de confiance, et ainsi de suite.
Généralement, les ruminations apparaissent lorsque l’on a vécu un évènement ou une succession d’évènements qui nous évoquent des pensées négatives (déception, colère non exprimée, anxiété, fatigue, …).
Ça s’aggrave comment ?
Par la suite nous allons observer le monde et nos expériences en tenant compte de ces expérience passées et nous allons donc imprégner notre vision du présent avec ces éléments gardés en mémoire. Ainsi nous reviennent en tête les pensées négatives et ressentis désagréables associés à cette situation ancienne.
Ces pensées que l’on convoque lors de nos ruminations ne sont donc pas des représentations fidèles de la réalité mais des interprétations déformées.
D’ailleurs les ruminations ont une place importante dans les symptômes de la dépression. Voici une boucle dans laquelle on peut comprendre la place des ruminations:
Fatigue, épuisement => repli sur soi, difficulté à agir => Culpabilité, dévalorisation => RUMINATIONS => déception, sentiment d’impuissance => Fatigue épuisement, => etc.
Comment ruminer nous fatigue ?
Les ruminations nous coupent l’herbe sous le pied et nous laissent passif face à la vie. Elles viennent nous laisser croire qu’il est inutile d’agir ou de faire différemment puisque, par le passé, notre expérience nous a montré un exemple faisant foi.
Elles utilisent notre cognition (fonctionnement mental et intellectuel) et les méandre de sa logique pour nous amener à généraliser, déformer, maximiser ou minimiser, sélectionner, les éléments de notre réalité.
Quand elle garde une place modérée dans nos pensées quotidiennes ce n’est pas embêtant, toutefois elles se maximisent avec la fatigue et l’épuisement, créant un cercle vicieux à travers duquel elles feront leur nid. Dans le même temps nous sommes moins aptes à stopper nos ruminations lorsque nous sommes fatigués.
Les ruminations excessives envahissent plusieurs sphères dont certaines sont vitales telles que le sommeil, les relations privées et/ou intimes, les moments de pauses, … Elles s’insinuent également dans notre concentration au travail, nos relations professionnelles, …
Bonne nouvelle ! On peut agir sur les ruminations pour leur redonner une place plus légère.
Plusieurs routes sont possibles selon votre situation et votre histoire.
Libre à vous de voir ce qui vous correspond, parmi différentes approches possibles telles que le proposent certaines thérapies (pour guérir nos blessures passées afin d’arrêter d’en souffrir), ou encore d’apprendre à lire différemment ce qui se passe dans la réalité par des accompagnements divers ou des pratiques méditatives.
Chaque approche s’adapte plus ou moins bien en fonction de la personne et de sa situation du moment. J’ai choisi pour vous une méthode simple et qui à fait ses preuves.
Une approche à contre pied
Généralement on observe que plus on lutte contre un phénomène de pensées plus il prend de place et se rigidifie.
Essayez pour voir ! Au moment où vous lisez ces lignes, si je vous demande de ne surtout pas penser à un éléphant vert ! Y arriverez-vous ? Impossible ! Car aussitôt que l’idée de l’éléphant vert est entrée dans votre conscience, l’image mentale, s’y accroche. Vous pourrez essayer de vous dire tout ce que vous voudrez, penser à « ne pas y penser » ne fonctionne pas.
C’est pourquoi il est parfois nécessaire de laisser l’idée advenir et même de pousser le bouchon un peu plus loin. Cette approche est tout à fait paradoxale.
Clarifier vos ruminations
Que faire lorsque le petit vélo des ruminations entre en jeu ?
Je vous propose de commencer par formuler une observation claire de ce qui se passe, sans interpréter ou évaluer la situation :
- Ma rumination est là !
- Je me dis des tas de choses négatives sur moi et les autres !
- Ça me fait me sentir …
Option 1 : Si je suis en forme et que c’est un bon moment pour la réflexion, je me penche dessus, je décortique et j’en cherche l’origine pour changer mon interprétation des faits (on verra cela ensemble dans un autre article).
Option 2 : Impossible de rationaliser, ça m’obsède et m’envahit. Alors j’y vais à fond (approche paradoxale).
L’approche paradoxale fonctionne bien car c’est une manière de reprendre le contrôle sur ses pensées et d’arrêter de les subir.
Provoquer la rumination tue la rumination
Comment fait-on ?
C’est une technique qui demande peu de temps mais de la rigueur. En effet l’exercice prend 15 minutes maximum et souvent ne nécessite pas d’être répété plus que quelques jours car ses effets sont plutôt rapides. Comptez 15 jours environ.
Cette approche paradoxale trouve son efficacité dans son scénario de déroulement. D’où l’importance d’être rigoureux. Voici comment faire:
1 – Mettez un minuteur sur 15 minutes (l’exercice ne se finit que lorsque le minuteur a sonné la fin des 15 minutes).
2 – Prenez un tas de feuilles et écrivez, non-stop, toutes les ruminations, tout ce qui vous passent par la tête de pensées et sentiments négatifs et d’idées déprimantes, pendant les 15 minutes.
Surtout ne soignez pas les mots employés, ni la forme. Soyez brut dans vos ruminations et videz entièrement votre sac sur la feuille.
3 – Quand les 15 minutes sont finies, décidez de stopper le temps des ruminations. C’est une actions volontaire !
Le petit plus: Je vous encourage à déchirer, jeter, brûler, ou tout autre manière de détruire ces feuilles. Le symbole d’élimination des ruminations n’en sera que plus fort.
4 – Faites cet exercice de manière systématique et assidu durant 15 jours et voyez les effets (j’attends vos retours en commentaires).
Cela permet d’exprimer tout ce qu’il y a à exprimer, dans un lâcher prise bénéfique, tout en étant sécurisé par la notion de temps et la règle explicite de la méthode.
Écrire permet de mettre au dehors ce qui tourne au dedans (voir l’article Notez tout !). Cette technique permet aussi d’expérimenter le choix: je choisis d’y penser ou je choisis de ne pas d’y penser.
A vous de jouer !
Je vous laisse donc profiter de ces belles séances de rumination sur ordonnance ! Mettez-y tout votre cœur ! On en reparle ensemble dans les commentaires et sur la Page Facebook 😉
Bibliographie et ressources : Notion provenant de l’approche paradoxale, courant systémique de l’Ecole de Palo-Alto et « approche centrée sur la solution »; « Panorama des thérapies familiales » Mony Elkaïm; « Faites vous-même votre malheur« , Paul Watzlawick; Bibliographie complémentaire: « Dépression et anxiété » par J. Palazzolo.
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Eh bien, en voilà une excellente méthode ! Pour le moment je suis plus trop « victime » de ruminations. Mais si une période revient je mettrai la technique que tu proposes en action. Et par contre je vais vite partager ton article avec un ami qui en a bien besoin. Merci beaucoup !
Merci Gabrielle pour ton commentaire et pour ton partage 😉 j’espère qu’elle portera ses fruits pour ton ami !